Interview de Loïg CHESNAIS-GIRARD
Pour le 25e Carrefour de l’eau
3 QUESTIONS à Loïg Chesnais-Girard, président du Conseil Régional de Bretagne
Entre les épisodes de sécheresse et ceux de tempêtes et fortes pluies, la gestion de l’eau semble plus difficile que jamais. Qu’en est-il sur le territoire breton ?
La sécheresse estivale de 2022 a fortement marqué les esprits. Mais les années se suivent mais ne se ressemblent pas : en 2023, nous n’avons pas connu de sécheresse et depuis octobre, les pluies sont abondantes, comme l’indique le BRGM. Cela a permis de recharger les nappes, dont le niveau est aujourd’hui quelque peu supérieur à la moyenne. Mais, en Bretagne, ce n’est pas nécessairement gage de sérénité car le sous-sol granitique ne permet de pas de stocker l’eau en grande quantité et nos bassins versants réagissent vite en l’absence de pluie. Sachant que l'eau potable est majoritairement produite à partir des eaux de surface (à 75%), il nous faut donc rester prudents. A l’inverse, la Bretagne a été touchée en 2023 par des inondations en début d’année puis à l’automne (notamment dans le Sud du Finistère), qui se sont renouvelées en ce début d’année 2024.
Les travaux du GIEC et du Haut Conseil Breton pour le Climat nous alertent sur le fait que la Bretagne connaîtra une importante variabilité des précipitations, occasionnant des périodes de sécheresse plus intenses et plus longues, et des pluies intenses et violentes générant des inondations. C’est donc avec cette variabilité et ces évènements extrêmes qu’il va falloir composer à l’avenir.
Du reste, la Bretagne a été frappée dans la nuit du 1er au 2 novembre par la tempête Ciaran, qui a fait énormément de dégâts. Des dizaines de milliers de foyers bretons sont restés sans électricité pendant plusieurs jours, et les dégâts se chiffrent en millions d’euros. La Bretagne fera face à de futures tempêtes et nous devons nous y préparer. L’état actuel des connaissances laisse à penser que les tempêtes ne seront pas nécessairement plus fréquentes et intenses, mais la montée du niveau de la mer pourrait rendre ces tempêtes tout de même plus destructrices, avec un littoral plus vulnérable aux phénomènes de submersion. La Région Bretagne travaille avec les territoires concernés pour les accompagner face à ces évolutions.
Quelles sont vos actions pour sécuriser l’accès à l’eau potable en Bretagne ? Y a-t-il des zones particulièrement sensibles à ce sujet ?
La Région n’a pas de compétence en matière de sécurisation de l’accès à l’eau potable. Sur ce point, il faut souligner l’action des syndicats départementaux d’eau potable du Morbihan, des Côtes d’Armor et de l’Ille et Vilaine, ainsi que du Département du Finistère.
Au titre de la mission animation et concertation dans le domaine de l’eau que la Région s’est vue confiée par décret en 2017, nous œuvrons à la mobilisation de l’ensemble des acteurs bretons autour de l’eau. Au sein de l’Assemblée bretonne de l’eau.
La Région a proposé au sein de l’Assemblée bretonne de l’eau un plan d’actions et d’adaptation pour une Bretagne plus résiliente face aux enjeux du changement climatique et de la gestion de l’eau, adopté le 30 mai 2023. Ce plan est co-piloté par la Région et l’Etat. Chacun, à la mesure de ses compétences et leviers d’action, au regard des thèmes qu’il juge prioritaires, est appelé à s’engager dans le plan pour proposer et porter des actions, selon les axes suivants :
· Encourager la sobriété dans tous les usages de l’eau
· Préserver en premier lieu les ressources existantes et explorer la possibilité d’exploiter de nouvelles ressources
· Favoriser le stockage de l’eau dans les sols
· Activer le levier du financement
· Anticiper l’apparition de conflits d’usages à travers la solidarité et l’aménagement du territoire
· Poursuivre le partage de connaissances
· Améliorer la gestion de crise sécheresse
Tous les partenaires ont conscience que la sobriété dans les usages de l’eau est un enjeu majeur et qu’il est important de se mobiliser sur ce sujet. De nombreuses actions ont déjà été menées en ce sens cette année : une campagne de communication pour inciter à réaliser des économies d’eau à l’été 2023, plusieurs réunions du groupe de travail la sobriété « goutte que goutte », qui a permis la visite de sites exemplaires sur les économies d’eau ou encore l’organisation d’un webinaire sur la gestion intégrée des eaux pluviales ainsi que les systèmes d’assainissement alternatifs en milieu urbain.
Pour 2024, nous allons relancer la campagne de communication, organiser une journée-débat sur la sobriété, développer une boîte à outils pour les acteurs de l’aménagement afin d’intégrer la ressource en eau dans les documents d’urbanisme. Cela nécessite au préalable un important travail de collecte, de sécurisation et d’analyse de données sur la ressource en eau.
Un parcours dédié au solutions fondées sur la nature (SFN) verra le jour au prochain Carrefour de l’eau. Justement, la Région Bretagne, aux côtés de l’Etat, de l’agence de l’eau Loire-Bretagne et des Départements d’Ille-et-Vilaine et des Côtes d’Armor ont lancé cet automne un appel à initiatives visant à tester certaines SFN pour accroître la rétention de l’eau. Avez-vous déjà des retours intéressants et si oui, lesquels ?
Tout d’abord, je salue la création d’un espace dédié aux solutions d’adaptation fondées sur la nature (SAFN). La restauration des zones humides et des cours d’eau, la végétalisation des bassins versants et des villes ou la désimperméabilisation des sols permettent de protéger les ressources en eau lors des sécheresses, de ralentir le ruissellement, de favoriser l’infiltration de l’eau pluviale et de réguler les inondations, tout en apportant des bénéfices pour la biodiversité. Elles ont donc toute leur place au Carrefour des Gestions Locales de l’Eau, comme dans nos politiques publiques visant à protéger au mieux la ressource en eau et faire face aux crises futures.
L’appel à initiatives que vous évoquez vise à identifier 3 ou 4 sous bassins versants souhaitant expérimenter le déploiement massif d’un ensemble d’actions visant à accroître la capacité du territoire à retenir l’eau en restaurant la fonctionnalité des sols, du sous-sol et des milieux aquatiques (rivières et zones humides) et par conséquent à réduire la vulnérabilité des territoires au manque d’eau. L’ambition est ainsi de mener un ensemble de mesures opérationnelles de manière coordonnée pour avoir un effet significatif sur le cycle de l’eau à l’échelle d’une entité hydrographique cohérente et d’évaluer les bénéfices sur la ressource en eau. Un suivi hydrologique avant et après travaux sera conduit en ce sens.
L’appel vient de se clôturer et nous étudions les candidatures. Il est donc trop tôt pour me prononcer sur des retours intéressants. J’espère néanmoins que ces expérimentations seront concluantes et pourront ensuite se multiplier largement en Bretagne.
Propos recueillis par Julien MARIE